Le finnois

Cette présentation reprend en grande partie le texte qui se trouve dans Wikipedia sous l’article « finnois ». Rien d’étonnant à cela : l’essentiel de la partie grammaticale de cet article avait été écrit par moi, en 2007 (pseudo Möss). Comme Wikipedia n’est pas à l’abri des corrections des dilettantes divers qui ne connaissent pas forcément grand-chose aux langues et que je n’avais ni le temps ni l’envie d’argumenter perpétuellement avec ceux-ci sur le contenu de l’article, j’ai préféré récupérer mon texte (en 2008) et le développer ou le retoucher sur mon propre site, et laisser l’original vivre sa vie sur Wikipedia (il n’a du reste guère évolué depuis, sauf la mention absurde selon laquelle l’article ne cite pas suffisamment ses sources – c’est comme si on reprochait à un auteur déclarant que le féminin en français se forme avec un e de ne pas citer la source où il a trouvé ça). Ainsi, s’il y a des erreurs ou omissions dans le présent texte, au moins on sait qu’elles sont de moi, je n’assume plus la responsabilité de la version Wikipedia. Vous pouvez toujours vous amuser à comparer les deux versions.

Généralités

Le finnois (qu’on appelle aussi finlandais, voir Finnois ou finlandais) appartient à la branche fennique de la famille des langues ouraliennes. Il est parlé dans l’ensemble de la Finlande, à l’exception des iles Åland, qui sont suédo­phones. Contrairement à ce qu’on affirme sur Wikipedia, le « finnois » parlé en Russie dans la république autonome de Carélie, où il bénéficie d’un statut officiel, est un dialecte à part, le carélien (que les finnophones de Finlande ont beaucoup de mal à comprendre). Le finnois compte au total 5 millions de locuteurs. Il est la langue maternelle d’environ 93 % des Finlandais, le reste étant essentiellement des suédophones, concentrés sur la bordure côtière sud-ouest et ouest de la Baltique. Ce texte étant consacré au finnois, je ne traite pas ici les minorités linguistiques, qui méritent un texte à part.

1. PHONÉTIQUE

Alphabet et prononciation du finnois

Le finnois utilise les 26 lettres de l’alphabet latin. Trois voyelles portent des signes diacritques, ä, ö et å. Les Finlandais considèrent ces graphèmes comme des lettres à part entière, et pour eux l’alphabet finlandais compte 29 lettres. Selon le même calcul, l’alphabet français en compterait près de 40. Tout est question de point de vue. Ci-dessous, la valeur des lettres et un commentaire :

A [a] un peu moins écarté que le a français
B [b] réalisé couramment comme [p] doux
C [k] dans les mots d’emprunt
D [d]
E [e] nettement moins fermé que le é français
F [f]
G [g] réalisé couramment comme [k] doux
H [h]
I [i] un peu moins tendu que le [i] du français
J [j] (comme dans yaourt)
K [k]
L [l] variante assez vélarisée au contact de voyelles vélaires (a o u)
M [m]
N [n]
O [o] o fermé, mais moins arrondi que le [o] fermé du français
P [p]
Q [k] uniquement dans les mots d’emprunt
R [r] roulé
S [s] assez relâché (évoquant parfois même une chuintante)
T [t]
U [u]
V [v]
X [ks] dans les mots d’emprunt
Y [y]
Z [ts] dans les mots d’emprunt
Ä [æ]
Ö [ø]
Å [oː] dans les mots d’origine suédoise (noms propres essentiellement)

À noter que le graphème gn correspond à une occlusive vélaire longue [ŋŋ].

Un signe double correspond à une voyelle longue ou à une consonne longue. Erreur dans Wikipedia : il n’y a pas de consonnes géminées en finnois, ce sont des consonnes longues. Pour qu’il y ait une géminée, il faudrait qu’il y ait une double détente (explosion) dans takka, ce qui n’est absolument pas le cas : tuuli [tuːli], takka [takːa], tyytymättömyys [tyːtymætːømyːs], etc.

Le finnois standard (il existe comme partout ailleurs des variations régionales) fait partie des langues privilégiées du monde « qui se prononcent comme elles s’écrivent et s’écrivent comme elles se prononcent », autrement dit le système graphique du finnois est quasiment à 98% la représentation des réalisations phoniques. Il est ainsi très facile d’apprendre à lire le finnois (cela concerne du reste aussi les enfants finnophones qui apprennent à lire bien plus facilement que les jeunes francophones). Il y a quelques défaillances dans le système : les formes fléchies de sydän s’écrivent avec un m mais se prononcent avec deux m (en fait un m long). Dans certaines formes verbales, le mot est terminé par une occlusive glottale, reste d’un [k] complètement amuï (on le retrouve en cours d’amuisse­ment total en indonésien, par exemple). Cette occlusive glottale, bien que parfaitement inaudible en finale absolue, se manifeste encore par l’allongement de la consonne qui suit. Cet allongement est nettement audible, mais n’est pas transcrit dans l’écriture : se ei ole painavaa, prononcé avec un p long [seei̯olepːai̯nava].

D’autre part, certains digrammes, notamment au, transcrivent tantôt des diphtongues (tausta, hauska, deux syl­la­bes), tantôt deux voyelles (tapaus, haussa, trois syllabes). Pour quelqu’un qui ne connait pas la langue, il n’y a pas non plus moyen de distinguer la coupure de certains mots composés : taikauskoinen (« superstitieux »), coupé taika|uskoinen. Dans ce mot, le groupe au ne forme pas de groupe phonique. Quelqu’un ne connaissant pas le finnois et qui voudrait déchiffrer à haute voix des phrases finnoises sur la seule base de la valeur des lettres iso­lées prononcerait un certain nombre de mots de façon erronée (ou au moins erratique). Il reste que le résultat serait bien plus proche de la réalité que si on fait la tentative équivalente avec le français.

En ce qui concerne la graphie, il y a aussi quelques incertitudes sur la question de savoir si certains mots composés s’écrivent en un seul mot ou en deux. Mais cela reste marginal en comparaison des multiples systèmes et sous-systèmes graphématiques concurrents et contradictoires du français. La dictée est ainsi un exercice quasiment inutile dans les écoles finlandaises. De même, le culte de l’Orthographe est inexistant (si l’on excepte les polémi­ques récur­ren­tes sur « l’orthographe » des mots composés).

Harmonie vocalique

De même que le turc et le hongrois, le finnois a systématisé l’harmonie vocalique. Les mots contiennent soit des voyelles d’avant (ä ö y [æ /ø/y]), soit des voyelles d’arrière (a o u [a/o/u]), les deux séries ne pouvant pas se mélan­ger. Les voyelles e et i sont neutres, c’est-à-dire qu’elles peuvent se combiner avec toutes les autres voyelles : kuolematon, säilöminen, tyytymättömyys, etc. Les désinences ou les suffixes ont ainsi une forme en a ou en ä ([ε] très ouvert) selon que le mot contient des voyelles d’arrière ou d’avant : talossa (dans la maison), metsässä (dans la forêt). Les mots composés peuvent combiner des mots à voyelles d’avant et des mots à voyelles d’arrière : synty­mä­todistus (syntymä + todistus, certificat de naissance), le timbre de la voyelle désinentielle dépendant dans ce cas du dernier élément : syntymätodistuksessa. Dans certains cas, un certain flottement règne chez les locuteurs finnophones eux-mêmes (kilometria ou kilometriä ?) et les dictionnaires donnent parfois le timbre de la voyelle de déclinaison.

Lénition et alternance consonantique

Le finnois se caractérise également par le phénomène de la lénition (que l’on retrouve par exemple en breton), en l’occurrence l’affaiblissement des occlusives en syllabe fermée. Ces modifications constituent l’alternance conso­nan­tique.

Une syllabe fermée est une syllabe qui se termine (phonétiquement) par une consonne, comme les trois syllabes du mots inspecteur : ins-pec-teur. Inversement, une syllabe ouverte se termine par une voyelle, comme les quatre syllabes du mot anonymat : a-no-ny-mat (le t final n’est pas prononcé). Une voyelle longue même suivie de consonne forme une syllabe ouverte. Les règles sont relativement simples, ci-dessous un bref aperçu à titre d’exemple :
pp > p  Lappi (Laponie) > Lapista (de Laponie), mais Lappiin (en Laponie)
tt > t  katto (toit) > katolla (sur le toit)
kk > k  lakko (grève) > lakossa (en grève)
t > d  pöytä (table) > pöydän (de la table), vetenä (sous forme d’eau) > vedessä dans l’eau
k > ø  pako (fuite) > paon (de la fuite)
Les règles concernant p bref comportent plusieurs possibilités et ne sont pas détaillées ici.

Mais il existe un certain nombre d’exceptions (dues à diverses raisons : mots d’emprunt, analogie, etc.) :
auto (voiture) > génitif auton (devrait logiquement être *audon, comme maito lait > maidon du lait).
2. GRAMMAIRE DU FINNOIS

Le finnois emploie souvent des suffixes là où d’autres langues emploient plus volontiers des pronoms et des prépositions ; c’est ce qui a conduit à décrire le finnois comme une langue « agglutinante », terme qui pourrait s’appliquer cependant à un très grand nombre de langues de familles très différentes. L’indo-européen ancien était aussi au départ une langue au moins aussi agglutinante que flexionnelle.

2.1. Morphologie

Thème et désinences

Les flexions, déclinaison et conjugaison, se construisent à partir de radicaux appelés « thème ». Le thème est la forme sur laquelle on ajoute les désinences ou suffixes. Un mot (nom, adjectif ou verbe) possède toujours un thème vocalique, et en général seulement celui-ci :
omena (pomme), talo (maison)
Certains mots ont également un thème consonantique. Ainsi le mot vesi (eau) ou siemen (graine) :
forme de base (nominatif) : vesi, siemen
thème vocalique : vete-, siemene-
thème consonantique : vet-, siemen-
Il ne faut pas confondre le thème, le radical et la racine : le terme de thème est un vieux terme de la grammaire grecque classique (rien à voir avec l’anglais !). En simplifiant, le thème est la partie du mot à laquelle on ajoute la désinence. Le mot vesi a ainsi deux thèmes, un thème vocalique vete- (vete-nä, vede-ssä avec alternance consonantique) et un thème consonantique vet- (vet-tä, cas dit « partitiivi », ves-ien génitif pluriel avec t > s devant i). Le mot omena n’a qu’un seul thème, vocalique, omena-. Le thème ne doit pas être confondu avec le radical: au radical vet- on peut ajouter une voyelle thématique (signifie en grec « ajoutée », « (ap)posée », « supplémentaire ») ou non. Le radical est donc en quelque sorte la forme de départ sur laquelle on peut construire le thème. Ce radical peut être ou ne pas être identique au thème.

De même, le radical n’est pas à confondre avec la racine, qui est la forme de base ou de départ reconstituable du mot. Dans le cas de vesi, c’est une forme hypothétique *ved- / wed-, très probablement apparentée à l’indo-européen *wed/-wod- (grec hudor [de *wudor], angl. water, russe voda etc.) De même, tehdä a pour thème teh- ou teke-, pour radical tek- et pour racine *dhek.

En résumé :
vesi (eau)
racine : *ved / *wed
radical : vet-
thème consonantique : vet- (par exemple dans vettä, vetten)
thème vocalique : vete- (par exemple dans vetenä, veden, vedessä)
Pour conjuguer les verbes et décliner les noms ou adjectifs, il faut (et il suffit de) connaitre :
  • le thème du mot (qui s’apprend par le lexique ; le plus souvent, les noms ont un seul thème, et, parmi les verbes, seuls les verbes de la 4e conjugaison ont un thème qu’il est parfois impossible de déduire à priori ;
  • les règles concernant les modifications des voyelles en contact avec le i du pluriel et du prétérit ;
  • les règles de l’alternance consonantique.
Ces règles, relativement peu nombreuses au total, font sentir leur effet simultanément (un peu comme le sandhi interne du sanskrit), et peuvent déboucher sur des « modèles » de déclinaisons qui semblent différents. Certains vont ainsi jusqu’à identifier 75 déclinaisons en finnois, ce qui est parfaitement abusif. Il n’y a qu’un seul modèle de déclinaison. On peut déduire l’immense majorité des formes fléchies (noms, adjectif, verbes etc.) des formes de base figurant dans les dictionnaires — nominatif singulier pour les noms et infinitif pour les verbes — quand on connait l’ensemble des règles applicables. Il y a, évidemment, comme dans toutes les langues, des exceptions (terminaisons variables du génitif pluriel, par exemple, ou non application de l’alternance consonantique, dans des mots d’emprunt), mais dans l’ensemble, c’est relativement limité. Il n’y a pas un seul verbe irrégulier en finnois, si l’on excepte le verbe « être » olla, irrégulier dans de nombreuses langues, mais dont seules les 3e personnes du présent de l’indicatif sont irrégulières (de même, le radical du mode potentiel — voir ci-dessous — de ce verbe est différent du radical normal, mais il se conjugue cependant régulièrement). C’est l’application simultanée de plu­sieurs mécanismes (parmi lesquels on peut mentionner également les effets de l’occlusive glottale dans la conju­gai­son de certains verbes), qui peut donner une impression de complexité.

Les cas du finnois

Une des manifestations du caractère « agglutinant » du finnois est l’abondance relative des cas de la déclinaison, quoique les 15 cas officiellement recensés ne soient pas tous aussi souvent utilisés : les cas dit « grammaticaux » indiquant le sujet et l’objet, nominatif (nominatiivi), génitif (genetiivi), accusatif (akkusatiivi) et partitif (partitiivi) représentent, comme on peut s’y attendre, environ 70% des formes du nom.

Huit autres cas expriment des relations spatiales (à, de, vers, dans, etc.) et s’utilisent aussi pour rendre d’autres fonctions (comme le français à, qui peut exprimer le lieu, la date, le destinataire, etc.) : allatif, adessif et ablatif, illatif, inessif et élatif (ces six noms étant transparents pour un latiniste), translatif et essif.

Trois cas qui sont systématiquement mentionnés dans les grammaires (comitatif, abessif et instructif) ne sont plus guère utilisés et les valeurs qu’ils expriment sont pratiquement toujours rendues par des constructions pré­po­si­tion­nel­les, sauf dans des expressions figées ou en voie de figement. En revanche, le cas distributif (-ttain/-ttäin), souvent omis dans les grammaires, est beaucoup plus productif (toutes proportions gardées) que les trois précé­dents (viisi lääkäriä kunnittain « cinq médecins par commune », sivuittain « page par page », etc). Il y a au total 12 (ou 13) cas productifs.

Les « cas » du finnois ne sont pas assimilables aux cas du latin ou du grec ancien et s’apparentent plutôt à de simples suffixes porteurs de sens. En effet, contrairement au latin, il n’existe en règle générale qu’une seule terminaison possible par cas (alors que la forme du datif latin, par exemple, varie en fonction du nombre, du genre, et de la déclinaison). Notons toutefois que le partitiivi peut avoir deux formes, et le génitif pluriel, trois (contrairement à ce qu’on enseigne généralement, la distribution de ces variantes n’est pas réellement libre et telle ou telle forme s’emploie généralement de préférence avec tels ou tels mots). En revanche, les terminaisons verbales sont identiques dans toutes les quatre conjugaisons et à tous les temps (si l’on excepte certaines formes de l’impératif), ce qui est loin d’être le cas en grec classique, par exemple.

Verbes et autres constituants

Le caractère agglutinant du finnois se retrouve également dans d’autres constituants de la phrase, verbes, pronoms, adjectifs. Des éléments grammaticaux prennent leur place à la suite du thème (voir ci-dessous) dans un ordre précis. Par exemple la forme taloissani « dans mes maisons » peut se segmenter de la façon suivante : talo « maison » + i marque du pluriel + ssa marque du cas inessif (« dans ») + ni suffixe indiquant un possesseur de première personne du singulier (« mon, ma, mes »), la forme uidessani « pendant que je nage » est construite sur uida « nager » et ssa et ni comme précédemment (mot à mot « dans mon nager », autrement dit « pendant que je nage/nageais »).

On notera qu’en finnois, l’adjectif épithète et le numéral se déclinent (alors qu’en hongrois, langue apparentée au finnois, ce n’est pas le cas) :
finnois :
näissä kahdessa kauniissa talossa
dans ces deux belles maisons
(tous les éléments portent la marque de l’inessif)
hongrois :
ebben a két szép házban
dans ces deux belles maisons
(seul le déterminant démonstratif et le nom portent le suffixe de l’inessif)
Prépositions et postpositions

Le finnois n’utilise pas seulement des cas, mais recourt également à un grand nombre de prépositions ou, plus fréquemment, de postpositions. Ce qu’il y a de particulier, c’est que ces pré- ou postpositions ne remplacent pas entièrement les désinences casuelles, car le nom qui les suit ou les précède est toujours décliné (en général au génitif ou au partitiivi) :
vasaralla avec le marteau (simple désinence casuelle, désinence de l’adessif)
ennen lähtöa avant le départ (préposition + partitiivi)
tauon jälkeen après la pause (génitif + postposition)
Les prépositions ou postpositions peuvent se « décliner ». La forme de certaines d’entre elles varie selon le mouvement qu’elles expriment, souvent en fonction du verbe dont dépend le complément&nbsp:
Hän meni talon taakse. Il est allé derrière la maison. (cas translatif de la posposition)
Hän oli talon takana. Il était derrière la maison. (cas inessif)
Hän tuli talon takaa. Il est venu de derrière la maison. (cas élatif)
Ces formes peuvent prendre des suffixes possessifs : takanani, takanasi « derrière moi, derrière toi » ou, avec mouvement, taakseni, taaksemme « [vers] derrière moi, [vers] derrière nous », etc. Mais on retrouve cela en hongrois (parent du finnois) et aussi en breton (totalement étranger au finnois), ce n’est donc pas une véritable originalité. Vraisemblablement, il s’agissait à l’origine des noms désignant un lieu, qui, par figement, ont peu à peu perdu leur nature de nom, mais la conservent encore à travers ce trait morphologique commun avec les autres noms (cf. le français à côté de, formé sur côté, ou la suite sur mon arrière).

2.2 Syntaxe

Sur un plan général, et bien que le finnois ne soit pas une langue indo-européenne, on peut dire que dans l’ensem­ble la structure syntaxique est similaire à celle des autres langues d’Europe. Le finnois s’est nettement indo-européa­nisé au cours des siècles (à supposer même qu’il y ait jamais eu une différence absolument radicale entre langues indo-européennes et langues finno-ougriennes, ce qui ne semble pas être le cas).

Le finnois connait les notions de temps verbal, de personne, de nombre, les pronoms, les conjugaisons, le sujet, l’objet, etc., toutes choses dont certaines sont parfois absentes dans d’autres langues du monde. La présence de déclinaisons n’est pas une originalité (latin, grec, russe, polonais, allemand, islandais etc. en ont aussi). En revan­che, le finnois ignore le genre grammatical (ce qui est loin d’être une singularité dans les langues du monde, et même l’anglais, langue indo-européenne, a en grande partie évacué le genre grammatical).

Ordre des mots

L’ordre des mots est habituellement SVO (sujet-verbe-objet), comme en français, et l’information nouvelle (le propos) se trouve à la fin du groupe syntaxique (comme en français). Comparer:
Huomenna käyn postissa.
Demain je vais à la poste.
Käyn postissa huomenna.
Je vais à la poste demain.
La présence de désinences permet en principe de placer par exemple l’objet librement dans la phrase, mais l’ordre des mots, comme dans toutes les langues du monde, est loin d’être libre, on ne place pas les mots en fonction du temps ou de l’humeur ! Là où le finnois utilise une inversion, le français, par exemple, utilise la dislocation (langue parlée) ou le passif :
Talon ostivat hänen vanhempansa.
La maison, ce sont ses parents qui l’ont achetée.
La maison a été achetée par ses parents.
Article

En finnois, il n’y a pas d’article (ce qui n’est pas une originalité, le latin ou le russe, et de nombreuses autres langues en étant dépourvus également). Dans la langue parlée, on peut considérer que le démonstratif se sert parfois d’article défini (comme se plaisent à le rappeler certains linguistes finlandais ou autres), mais il ne peut exprimer que la référence spécifique explicite :
Hier j’ai eu une nouvelle carte bancaire. En allant retirer de l’argent, j’ai constaté que la carte ne fonctionne pas.
Eilen sain uuden pankkikortin. Kun nostin rahaa automaatilta, huomasin, että se kortti ei toimi.
Dans les autres cas, l’article est impossible en finnois :
Le téléphone sonne.
Puhelin soi. (référence spécifique implicite)
Le soleil brille.
Aurinko paistaa.
Le chocolat noir est bon pour la santé.
Tumma suklaa on terveellistä. (référence générique)
De même, dans la langue parlée, on utilise fréquemment le numéral yksi comme un déterminant indéfini très proche du français un :
Keskustelin yhden kaverin kanssa.
J’ai discuté avec un type.
Temps verbaux et conjugaisons

Dans le domaine de la conjugaison des verbes, on notera l’absence de véritable passif. Il existe un mode appelé « passiivi », mais c’est simplement une forme impersonnelle du verbe (on ne peut pas exprimer l’agent), qui ne connait qu’une seule forme par temps et par mode (on peut difficilement parler de personne, étant donné que la forme est impersonnelle) : lauletaan « on chante », sanotaan « on dit », ostettiin « on a acheté », olisi sanottu « on aurait dit » etc. À noter que cette forme impersonnelle est couramment utilisée comme substitut de la 1e personne du pluriel dans la langue parlée, exactement comme le pronom on en français (il y a ainsi un curieux parallèle entre le finnois et le français sur ce point précis) : me soitettiin eilen « on a téléphoné hier ».

Les modes verbaux du finnois sont l’indicatif, le conditionnel, l’impératif, le participe, l’infinitif et le poten­tiel. Cette classification est cependant doublement disparate, le conditionnel n’étant plus considéré comme un mode dans la grammaire française moderne (c’est un des temps de l’indicatif au même titre que le futur) et le participe/infinitif n’étant pas considéré comme un mode verbal dans la tradition grammaticale finnoise (ce sont des formes nomi­na­les du verbe, au même titre qu’en français par exemple apparition ou changement).

Le potentiel est un mode qui exprime la probabilité : hän ostanee « il achètera sans doute/probablement », hän lienee tullut « il est sans doute venu / il a dû venir ». Mais l’emploi de ce mode est cantonné à l’écrit et, dans la langue courante, les valeurs qu’il exprime sont le plus souvent rendues par des adverbes expri­mant la probabilité. Beaucoup de gens ne savent même pas construire la forme correcte du potentiel, tant elle est sortie de l’usage courant. Comme modes conjugués, il ne reste donc en finnois que l’indicatif, le conditionnel (selon la termi­no­lo­gie traditionnelle) et l’impératif, étant donné qu’il n’y a pas de subjonctif dans cette langue.

Les temps : l’indicatif comprend le présent, le prétérit, le parfait et le plus-que-parfait ; le conditionnel comporte deux temps, présent et parfait. Il n’y a pas de futur morphologique, le futur est rendu, quand c’est absolument indispensable, par la périphrase tulla (« venir ») + infinitif. Le futur est le plus souvent rendu par le présent (c’est le cas du reste en français également), avec l’assistance d’adverbes ou autres indicateurs. Les temps composés (parfait, plus-que-parfait) se forment avec l’auxiliaire olla (être) et le participe passé. Il y a donc trois temps de base à apprendre : présent, prétérit et conditionnel. Ces temps permettent de composer tous les autres. À cela s’ajoute encore l’impératif.

Les infinitifs sont au nombre de quatre. En fait il s’agit plutôt d’une manière de classer les formes non conjuguées du verbe, qui sont considérées en finnois comme des formes nominales (ce qu’elles sont morphologiquement en finnois, puisque les « infinitifs » peuvent se décliner - à certains cas seulement). Aux « infinitifs » du finnois corres­pon­dent ainsi des noms ou groupes nominaux dans d’autres langues d’Europe (par exemple rakenta-minen ~ build-ing).

L’auxiliaire négatif

La négation est déroutante pour qui s’initie au finnois, car elle s’exprime à l’aide d’un auxiliaire négatif qui se conjugue aux différentes personnes. Il est suivi du verbe à la forme thématique (vocalique) aux temps du présent, ou du participe passé aux temps du passé :
en sano / et sano / hän ei sano / emme sano / ette sano / he eivät sano
je ne dis pas / tu ne dis pas / il ne dit pas / nous ne disons pas / vous ne dites pas / ils ne disent pas
en sanoisi « je ne dirais pas », et sanonut « tu ne disais pas »,
et ole sanonut « tu n’as pas dit », et ollut sanonut « tu n’avais pas dit »
emme olisi suostuneet « nous n’aurions pas accepté », etc.
On utilise également un auxiliaire négatif à l’impératif (forme de base äl-), et dans ce cas, aux personnes autres que la 2e personne du singulier, on ajoute encore la particule -ko/kö après le verbe, ce qui, sans aucun doute, peut paraitre inutilement compliqué aux apprenants allophones :
sano (dis) → älä sano (ne dis pas)
sanokoon (qu’il dise) → älköön sanoko (qu’il ne dise pas)
sanokaamme (disons) → älkäämme sanoko (ne disons pas)
sanokaa (dites) → älkää sanoko (ne dites pas)
sanokoot (qu’ils disent) → älkööt sanoko (qu’ils ne disent pas)

Interrogation

La forme interrogative dans l’interrogation totale (réponse oui/non) se réalise par adjonction d’une particule ko/kö (en fonction de l’harmonie vocalique), similaire aux particules interrogatives qu’on trouve par exemple en latin ou en russe (ou même en français, car fonctionnellement la suite [εsk] est-ce que se comporte comme une particule interrogative, phénomène obscurci par la graphie). Si le sujet est exprimé (groupe nominal ou pronom de 3e personne, les pronoms de 1e et 2e personne n’étant pas obligatoirement exprimés), il y a inversion du sujet, comme dans de nombreuses langues. Le finnois peut utiliser cette particule de manière très souple, car on peut l’adjoindre à tout mot sur lequel on veut faire porter l’interrogation : le verbe, le sujet, l’objet, un adverbe, etc. Par exemple dans la phrase hän osti sen eilen = il / a acheté / le / hier (il l’a acheté hier), on peut adjoindre la particule à chacun des mots, en fonction du sens de la question :
Hän osti sen eilen. Il l’a acheté hier. →
Ostiko hän sen eilen ? Est-ce qu’il l’a acheté hier ?
Hänkö osti sen eilen ? C’est lui qui l’a acheté hier ?
Senkö hän osti eilen ? C’est ça qu’il a acheté hier ?
Eilenkö hän osti sen ? C’est hier qu’il l’a acheté ?
L’interrogation partielle (qui, que, quoi, comment ? etc. ) se construit simplement en ajoutant le mot interrogatif en début de phrase. Exemple : Mistä tulet? D’où viens-tu« ? » se construit à partir de tulet « tu viens ».

Aspect verbal et partitif

La plus grande originalité du finnois (mais que cette langue partage avec l’estonien, son proche cousin) est le fait que le finnois attache une grande importance à l’expression de l’aspect verbal (perfectif vs. non perfectif), et que, contrairement au russe, où, logiquement, l’aspect verbal est exprimé par le verbe (c’est aussi d’une certaine façon le cas en français avec l’opposition imparfait/passé simple-passé composé), la marque de l’aspect est portée par le nom, en l’occurrence par la désinence de l’objet. On oppose ainsi un cas accusatif (ou génitif d’après la termi­no­lo­gie de la grande grammaire du finnois Iso Suomen kielioppi, 2004) et un cas partitif (partitiivi), exprimant res­pec­ti­ve­ment l’objet « total » et l’objet « partiel » ou « partitif ». Cette terminologie est trompeuse, le terme de partiel n’exprimant pas une partie de quelque chose, pas plus d’ailleurs que celui de partitif. On peut opposer ainsi :
Hän rakentaa taloa.
Il construit/est en train de construire une/la maison. (cas partitiivi, aspect non perfectif)
Hän rakentaa talon.
Il construira une/la maison. (cas accusatif, aspect perfectif)
Cet exemple ne donne qu’une idée très sommaire de la complexité du système, étant donné que le caractère perfectif ou non du verbe dépend évidemment de critères sémantiques (donc lexicaux, donc arbitraires, un processus vu comme perfectif en finnois n’étant pas forcément senti comme tel dans une autre langue) et que de nombreux cas d’analogie, de lexicalisation, etc. viennent en contrecarrer le fonctionnement. C’est ainsi que seuls les finnophones maitrisent cette alternance (avec parfois des divergences entre les locuteurs), les suédophones de la minorité suédoise de Finlande étant réputés pour leurs « fautes d’objet » quand ils parlent finnois (les étrangers qui apprennent le finnois étant évidemment encore bien plus embarrassés par cette alternance subtile).

Cependant, l’opposition entre perfectif et non perfectif est totalement effacée dans les phrases négatives, dans lesquelles l’objet est quasi systématiquement au partitiivi :
Hän ei rakenna taloa.
Il ne construit pas/n’est pas en train de construire/ne construira pas la maison/de maison.
Dans Wikipedia, quelqu’un avait ajouté à la fin du paragraphe concernant l’aspect cette affirmation erronée, qui semble tout droit sortie d’un manuel finlandais (il est à noter que la majorité des finnophones est parfaitement ignorante de l’existence de l’aspect en finnois, inutile donc de venir leur en parler. C’est comme d’essayer de parler de la valeur référentielle spécifique de l’article défini le à un Francais, il vous rira au nez) :
À noter aussi que les verbes exprimant un sentiment ont leurs compléments au partitiivi, même dans une phrase affirmative:
– Minä rakastan tätä tyttöä. J’aime cette jeune fille.
– Nämä sotilaat halveksivat kuolemaa. Ces soldats méprisent la mort.
L’erreur est de croire que le partitiivi vient de l’expression du sentiment. En fait, il n’en est absolument rien : c’est parce que le fait d’aimer ou de mépriser est vu comme un processus non fermé, non perfectif. On peut effec­ti­ve­ment commencer et cesser d’aimer quelqu’un, mais au moment où l’amour « fonctionne », il n’a pas un début ou une fin. Si on dit à quelqu’un « je t’aime », c’est un état qui dure avant et après cette déclaration. On ne peut pas dire : « je t’aime trois minutes » (sauf en plaisantant, bien sûr). C’est la même chose pour attendre, qui est vu par les finnophones comme non perfectif, ce qui peut paraitre étrange, puisque si on attend quelqu’un et que cette personne arrive, on cesse d’attendre. Mais l’attente en elle-même est durative, non fermée : quand on attend, le « sentiment d’attente » dure et n’est pas un processus fermé, contrairement au fait d’allumer une lampe par exemple où c’est soit « on » soit « off ».

Ces exemples montrent à quel point il est parfois difficile pour l’étranger qui apprend le finnois de savoir si le verbe est perfectif ou non. L’affirmation ci-dessus « les verbes exprimant un sentiment ont leurs compléments au partitiivi » est donc fausse fondamentalement, même si elle n’est pas entièrement dénuée de bon sens (c’est prendre une des manifestations possibles de la règle pour la règle elle-même).

Mise à jour : 16.2.2023

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