Finnois ou finlandais ?

Ce texte est celui d’une note que j’avais ajoutée à l’article « finnois » de Wikipedia (dont j’avais écrit la plus grande partie) et que j’ai récupérée avec le reste du texte (en janvier 2007), lorsque j’ai décidé de ne plus continuer sur Wikipedia. Je la présente donc ici sous une version un peu plus argumentée et développée. J’ai d’ailleurs constaté qu’entretemps quelqu’un a repris cette note et l’a intégrée dans le corps du texte de l’article de Wikipedia sous le titre de « Nom de la langue ».

La question de savoir s’il faut désigner en français la langue suomi par finnois ou finlandais resurgit sans arrêt (du moins dans le petit monde des connaisseurs de la Finlande). Pour preu­ve, au 4.9.2015, le présent texte a été consulté par 7777 visiteurs (je n’invente rien, c’est le chiffre sinon astronomique, du moins quasi « aéronautique » que donne Blogger) depuis sa mise en ligne fin 2007, soit 2,5 visiteurs par jour en moyenne. J’espère que les expli­ca­tions qui vont suivre serviront à voir plus clair.

En fait, il s’agit plutôt d’un débat entre deux camps : les spécialistes (que veulent imiter les puristes et les semi-savants) et les réalistes ou pragmatiques.

Pour le spécialiste de langue, d’histoire, voire d’ethnologie, le terme finnois a une acception relativement précise. Il s’applique à la langue et la culture des Finnois, une des peuplades qui ont progressivement occupé le territoire de la Finlande au cours des millénaires. On peut ainsi différencier, grosso modo, sur le plan ethnologique et historique les Finnois, les Samis (c’est le nom qu’on donne actuellement aux Lapons, voir ci-dessous) et les Suédois, qui ont colonisé le sud-ouest de l’actuelle Finlande. À ceux-ci s’ajoutent encore par exemple les Roms, arrivés en Finlande il y a environ 500 ans, et d’autres minorités diverses venues plus récemment.

Inversement, le terme de finlandais se rapporte à une réalité géographique, politique ou économique (la province à l’époque suédoise, le grand-duché à l’époque russe et l’État indépendant depuis 1917 désignés sous le nom de « Finlande »). Il y a eu des Finnois dans cette contrée bien avant qu’elle se soit appelée Finlande, mot dont l’origine est obscure et la datation précise encore plus. Et il y avait dans cette Finlande qui ne portait pas son nom, avant eux, et longtemps en même temps qu’eux, d’autres peuples, qui n’étaient pas des Finnois (à époque ancienne, il y a eu des Germains, et, si on remonte les millénaires, il y a eu bien sûr des peuplades encore plus anciennes), mais ces gens ne sont pas impliqués dans cette querelle terminologique, donc je simplifie.

De toute façon, je ne vais pas me lancer dans un cours d’histoire de la Finlande. La situation actuelle est qu’il y a des habitants de la Finlande, dénommés, comme on peut s’y attendre, « Finlandais », et qui parlent le finnois, d’autres qui parlent le suédois et d’autres qui parlent le sami (en finnois saame, ils ne sont linguistiquement qu’une infime minorité), ou encore le romani. Sans compter évidemment les autres groupes linguistiques constitués par des gens s’étant installés en Finlande (Russes, Estoniens, Somaliens ou Kurdes, par exemple). La situation devient progressivement encore plus compliquée avec l’afflux de réfugiés d’origine diverse dans les deux dernières années (voir les statistiques officielles au 15.4.2016).

Il faut noter cependant que dans bien des cas, les termes finnois et finlandais peuvent se recouvrir, au moins partiellement, ou pourraient s’employer l’un à la place de l’autre, et quand on traduit, notamment des textes se rapportant au XIXe siècle, on est parfois bien embarrassé pour rendre le mot suomalainen. Il faut trancher de façon arbitraire entre finnois et finlandais en essayant de faire le partage entre ethnicité, politique ou histoire.

Dans la pratique, pour les non initiés, l’opposition finnois-finlandais peut sembler artificielle. De toute façon, elle est rarement connue des francophones, mis à part ceux qui connaissent la Finlande. Pour la majorité des locuteurs francophones, il semble logique que les Finlandais parlent… le finlandais. Après tout, en Islande, on parle islandais, en Hollande hollandais, en Thaïlande thaïlandais. Je sais parfaitement que dans les deux derniers cas, il faudrait dire plus exactement « aux Pays-Bas, néerlandais », « en Thaïlande, le thaï ». Mais le grand public ne s’embarrasse pas de telles nuances. Bien des puristes qui étalent leur petit savoir et m’auraient certainement repris à propos des Pays-Bas et du hollandais, seraient bien ennuyés de dire par exemple quelle langue on parle en Afghanistan (afghan ?).

Bref, il faut se rappeler que les langues sont faites pour communiquer et se faire comprendre, pas pour couper les cheveux en quatre. Pour la majorité des francophones, le terme finlandais est bien plus informatif que l’énigmatique finnois. Il m’est arrivé plusieurs fois (et pas seulement à moi) que des gens, lorsque je leur disais j’avais fait des études de finnois, comprennent ou rectifient « de chinois ? ». Quand j’étais aux Langues Orientales à Paris, j’avais du reste un camarade qui avait résolu ce problème d’avance : il étudiait à la fois le chinois et le finnois (drôle de combinaison), les gens ne pouvaient jamais se tromper entièrement.

Pour les spécialistes, le maintien de l’adjectif finnois permet de faire une distinction entre une des langues parlées dans le pays (le finnois) et la notion de nationalité. Tant mieux pour eux. Dans la pratique quotidienne, il me semble plus raisonnable ou en tout cas pas scandaleux d’utiliser le terme finlandais, même pour la langue, car c’est plus clair et plus parlant. Le Petit Larousse l’a bien compris, qui donne sous finlandais comme définition
1) adj. et n. de la Finlande, de ses habitants
2) n. m. ling. Finnois. (édition 2009, sv.).
Je reconnais qu’il y a des années j’étais moi-même dans le camp des puristes, qui veulent maintenir à tout prix la distinction et voudraient que la planète entière fasse de même. Mais j’avais des excuses, car après tout, je suis aussi spécialiste de finnois, et pour moi la distinction finnois-finlandais est plutôt une simple évidence « professionnelle », et non pas une question de vie ou de mort. Aujourd’hui, j’utilise moi-même souvent le terme de finlandais pour désigner la langue finnoise quand je parle avec des gens qui ne connaissent rien du pays Suomi. C’est bien plus simple et plus efficace et ça m’épargne souvent de longues explications qui pourraient paraitre assez prétentieuses.

Du reste, pour clore ce débat, il y a des tas de langues dans lesquelles on ne connait pas cette distinction, à commencer par l’anglais, qui n’utilise que Finnish (oui, je sais, on trouve aussi le terme de Fennic, mais c’est vraiment pour les spécialistes de la question). Il y a aussi des tas de pays où on parle plusieurs langues et où le nom de la langue nationale ne correspond pas toujours à la réalité. En Indonésie, par exemple, on parle plus de 200 langues, qui ne sont pas toutes de l’indonésien, loin s’en faut, le javanais est numériquement plus important. Et pour revenir aux Lapons, en Laponie (finlandaise) il y a des Samis et des Finnois (qui sont tous des Finlandais). Le terme de lapon devrait aujourd’hui s’utiliser pour désigner des réalités communes aux deux ethnies (administration, cuisine, que sais-je). Pour désigner les Lapons que tous les Français connaissent (ceux avec les rennes), il faudrait utiliser le terme de sami. Là encore le spécialiste peut faire une distinction entre... Euh, finalement, c’était bien plus simple avant.

Mise à jour 30.3.2017

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